
Le milieu de l'horizon, une histoire d'amour entre deux femmes
Le milieu de l’horizon, le film d’une histoire d’amour entre deux femmes
De par sa nature généreuse, empathique et optimiste, la réalisatrice engagée et féministe Delphine Lehericey se sert de son travail pour véhiculer des messages de tolérance, d’ouverture vers les autres… Elle croit en l’humanité et en sa capacité de résilience. Entre la femme et la réalisatrice, il n’y a aucun filtre, ses œuvres (documentaires, films…) sont à son image !
Son 2èmefilm, « Le Milieu De L’Horizon » (en salles mercredi 20 Octobre), résonne en elle tant il fait écho à sa propre vie : en couple avec un homme, avec qui elle a eu un enfant, elle est tombée amoureuse d’une femme et est partie s’installer avec.
Pour tisser la toile de sa tension dramatique, Delphine Lehericey utilise comme point de départ le roman de Roland Buti, paru aux Éditions Zoé en 2013, pour nous livrer sa propre vision de l’histoire, en y mêlant sa vie personnelle. Film de fiction ou autobiographique, ce drame écologique et social croque le portrait d’une famille, à l’apparence soudée et heureuse, confrontée à de nombreux défis dans la France rurale de 1976.
Jean (Thibaut Evrard) s’occupe de l’exploitation familiale, qui est en proie au changement climatique (sécheresse), à un moment charnière (industrialisation de la profession). Femme au foyer, Nicole (Laetitia Casta)rêve de s’évader de ce carcan patriarcal et de cette famille qui l’étouffe, mais elle n’a pas le choix ! Lorsqu’elle retrouve son amie Cécile (Clémence Poésy), femme libre, indépendante et moderne (divorcée), elle est troublée, désemparée… Ne pouvant mettre des mots sur la confusion des sentimentsqui l’assaille, elle laissera la fatalité opérée. Cette histoire d’amour est vécue à travers le prisme de son fils de 13 ans, Gus (Luc Bruchez), qui lui aussi est à un moment charnière de son existence : le passage de l’enfance à l’adolescence !
Les thématiquess’imbriquent les unes aux autres (changement climatique, condition paysanne, des femmes et des LGBT)pour faire de ce huis-clos étouffant, un film solaire et militant, à l’image de sa réalisatrice, et d’une grande modernité, tant quarante-cinq ans plus tard les thèmes abordés sont plus que jamais d’actualité et font écho aux enjeux des prochaines élections.
Qu’est-ce qui vous a touché et ému dans le roman de Roland Buti ?
Avant de lire le livre, j’ai reçu un premier scénario écrit par Joanne Giger car Box Productions, avec qui j’avais déjà fait un film (NDLR : « PuppyLove » en 2014) cherchait une réalisatrice. Je l’ai reçu à Noël et je venais de me séparer de mon mec, avec qui j’ai eu un fils, car j’avais rencontré une femme. C’était hallucinant de recevoir un scénario pareil au moment où je vivais personnellement la même chose !
Cette histoire d’amour universelle a résonné en vous et faisait écho à votre vie ?
Je suis d’origine Suisse, j’ai longtemps habité à Paris et j’étais lesbienne. Et puis, je suis partie en Belgique où j’ai rencontré le papa de mon fils et ensuite j’ai retrouvé mes premières amours : les filles. J’étais Nicole ! (NDLR : interprétée par Laetitia Casta dont le couple part à la dérive car elle est amoureuse d’une femme). On a d’ailleurs créé un hashtag #JeSuisNicole car lors des projections, des gens venaient me voir en me disant qu’eux aussi étaient Nicole. L’angle qui m’intéressait était le point de vue de l’enfant sur cette histoire d’amour : Gus.
Pourquoi le parti-pris de raconter cette histoire d’amour à travers le prisme d’un enfant de 13 ans ?
C’est un film qui parle de l’humanité, des gens, de la vie et d’un garçon qui est en train de grandir, et tout lui arrive en pleine tête, comme dans la vie ! Le plus important pour moi, c’est le courage qu’a eu Nicole dans les années 70 de partir, vivre son histoire d’amour et la vivre sous le regard de son enfant. Cela signifie : affronter son mari, le village et son propre fils ! Les passages de l’enfance à l’adolescence ou de l’adolescence à l’âge adulte sont des moments charnières dans nos existences. Ils nous marquent à jamais et forment nos caractères et ce que nous sommes et devenons. Cela nous charge pour toujours : selon comment on a couché la première fois avec quelqu’un, si on a aimé ou pas… Tout cela marque, plus que le langage. Notre destin se fabrique là !
Gus est de nature réservé et pudique. Pour traduire ses tourments, pourquoi avoir choisi la fuite dans ces paysages solaires et cette musique stridente de Nicolas Rabaeus ?
En lisant le roman, j’avais l’impression d’étouffer alors que l’histoire se passe en plein air. Et cette sensation ne provient pas de la sécheresse. L’idée que je voulais mettre en avant est que dehors est un huis-clos. On ne peut pas s’échapper de ces grands espaces. Gus se sent à la fois libre, mais aussi coincé. Sa fuite vaine traduit aussi sa solitude, les tourments auxquels il est confronté…
Gus ne cherche-t-il pas à fuir la réalité ?
Il ne peut pas s’enfuir de ce qui lui arrive ! Ce qui est intéressant, c’est justement comment se comporter et réagir face à tout ce qui lui arrive.
Le roman et le film demeurent actuels tant les thématiques abordées font 45 ans plus tard écho à notre société ?
Outre cet attachement personnel à l’histoire et surtout à Nicole, je me suis rendu compte qu’il y avait outre la thématique omniprésente du climat, qui ne devrait d’ailleurs pas en être une, mais que cela parle aussi des libertés et de la condition des femmes et des LGBT dans la France rurale du milieu des années 70. C’est très compliqué de faire un film dans lequel il y a plusieurs thématiques, car le cinéma est une industrie normative. Il a fallu faire des choix : Qu’est-ce qu’on rehausse ? Qu’est-ce qu’on atténue ?…
À quels challenges avez-vous été confrontés pour le scénario ?
Dans le roman, l’enfant est contemplatif par rapport à la campagne qui se désagrège, l’agriculture, son père qui souffre… Les liens masculins sont beaucoup plus forts avec son cousin Rudy, son père Jean, les paysans… Notre sensibilité a fait que nous avons choisi le parti-pris des femmes et de les remettre au cœur de l’histoire.
C’est une peinture sociale de la condition paysanne, mais 45 ans plus tard rien n’a changé : endettement, travail à perte, suicides… C’est de l’esclavagisme des temps modernes !
En 76, on est à une époque charnière : les paysans passent d’une exploitation agricole familiale à une industrialisation de la profession. Aujourd’hui, c’est l’inverse ! Nous sommes à une autre charnière : on revient en arrière. Je voulais que ce film « historique », qui évoque la canicule de 76 en France, sonne le plus véridique. J’ai aussi vraiment à cœur de raconter ce qu’est la terre. Les paysans consacrent leur vie à l’agriculture, c’est à la fois terrible et héroïque. Souvent, c’est aussi la fatalité : est-ce que les enfants vont reprendre la suite ? Dans le film, Jean n’a pas eu le choix, il a dû reprendre la ferme. D’ailleurs, il laisse le choix à son fils Gus. Au-delà de toutes les thématiques, l’amour, le climat et l’agriculture, c’est un film sur la fatalité ! Comment on se débrouille, nous pauvres petits humains, avec la fatalité de l’existence ? Tout tombe dessus sur Jean et son fils : la sécheresse, Nicole part avec une femme… Qu’est-ce qu’ils font avec tout ça ?
Les gestes d’amour de Nicole et Cécile sont pudiques (frôlements, regards…). Tout est maîtrisé et dans le non-dit !
Comment on insuffle du cinéma à l’intérieur de la littérature ? Dans la littérature, la liberté qu’on a, c’est de pouvoir penser. Au cinéma, il faut donc trouver des actions qui symbolisent concrètement ces pensées. Il y a peu de choses qui peuvent raconter les tourments de ce jeune garçon : les paysages, les décors, la relation avec l’autre, courir, un sourire, la musique… On a beaucoup travaillé la façon dont Gus allait se mouvoir, comment exprimer ses souffrances… Notre challenge était d’en faire un film d’« actions », mais surtout pas contemplatif !
Était-ce une évidence Laetitia Casta et Clémence Poésy pour incarner ces femmes ?
Laetitia, oui, tout de suite. Clémence a ensuite accepté. Par rapport à mon histoire, il y a un côté militant dans ce film ! Je suis d’origine Suisse et on vient à peine de faire un référendum sur le mariage gay. C’est dire le retard que nous avons ! Pour nos parents et grands-parents, d’avoir un parcours de vie où l’on passe d’un homme à une femme, ça peut être compliqué. Les nouvelles générations sont beaucoup plus à l’aise par rapport à ça. Laetitia Casta est une actrice populaire et une femme très douce, belle et hétérosexuelle. Qu’elle interprète une lesbienne, cela permet de justement casser les clichés ! Pour moi, l’homosexualité est une affaire de courage et le choix de réussir à assumer ce que l’on est. Ça prend du temps et cela peut venir à 80 ans. Il n’y a pas une homosexualité, il y a des homosexualités ! L’incarner par quelqu’un de tout à fait identifié comme hétérosexuel, qui fait la couverture des magazines et qui plaît à ma mère et ma grand-mère, c’est un tour de force. Cette histoire est actuelle et derrière le jeu de Laetitia Casta et Clémence Poésy, il y a sous-jacent une forme de militantisme, car elles ont accepté de jouer ces deux femmes.
Y a-t-il aussi une approche militante de votre part ?
Après les retours de la presse en Suisse et dans de nombreux pays, je n’avais pas l’impression d’avoir fait un film militant, mais plutôt classique. Les journalistes se sont emparés des thématiques sur le climat et la condition des femmes, mais pas l’homosexualité. Le fait que le film sorte en France chez Outplay, pour moi, ça a du sens ! C’est une boucle. À la fin du film, Nicole se libère du poids de la terre, de son mari et sa famille en partant avec une femme, pas un homme ! Je trouve que les débats en France, et dans plein d’autres pays, sont permanents sur les questions des femmes, des gays, des bis, des trans… C’est toujours extrêmement crispant ! Prenons le Mariage pour tous en France qui a été violent. Je vis en Belgique, je suis mariée avec une femme et on attend un enfant dans 5 semaines et là-bas, ce n’est plus un sujet ! Le mariage gay existe depuis 16 ans, la PMA est légale depuis des années… Je suis l’actualité en France et je me demande souvent comment c’est possible dans le pays des Droits de l’Homme d’entendre des horreurs pareilles ?
Vous dressez avec justesse le tableau de la condition LGBT en France dans les 70’s : ils étaient invisibles, la société ne voulait pas les voir. Leurs seuls moments de bonheur étaient volés car ils ne pouvaient pas vivre leur amour au grand jour !
Si elles restaient, elles ne pourraient pas vivre leur histoire d’amour. Là, on est dans la marge. C’est beaucoup plus facile pour les hétéros de se montrer, d’être en couple, de se promener dans la rue… Cette différence est intéressante à travailler dans un film. J’ai expliqué à Laetitia et Clémence comment s’embrasser, ce que je voulais voir, à quel moment Gus allait les surprendre… Toutes ces choses me semblaient tellement familières et naturelles, je sentais bien que j’allais devoir les expliquer. En retour, de la part des actrices, j’ai senti qu’il y avait une sincère et saine curiosité, une envie de connaître ce moment et ce type de bouleversement. C’est une frontière qu’on dépasse ! Ça a été hyper généreux de leur part de m’écouter et de faire ce que j’envisageais.
C’est aussi une succession de portraits de gens différents : le cousin handicapé Rudy, la bâtarde Mado, la divorcée Cécile…
Dans ces années-là, on commençait à inclure ces gens différents car la société et les politiques sentaient que ça n’allait pas pouvoir tenir longtemps. La France conservatrice et cette société patriarcale qui avait la main mise sur la vie des gens sont en train de s’effriter. Le patriarcat est une véritable chape de plomb qui pèse autant sur les hommes que les femmes.
La fin du roman est dramatique. Pourquoi votre vision est-elle optimiste ?
En effet, dans le livre, Gus ne se réconcilie pas avec sa mère, il reste au village et lui dit que c’est une salope. Nicole part avec Cécile sans revoir son fils. Par rapport à ma vie et ma nature, et surtout parce que j’ai foi en l’autre, j’ai voulu une fin optimiste. J’ai grand espoir en l’humanité : les gens sont capables de se réconcilier, s’aimer… Les gens différents montrent des brèches dans lesquelles la vie est possible ! Je crois beaucoup en la tragédie, les larmes… Sans souffrance, il n’y a pas de joie et vice-versa !
Qu’aimeriez-vous qu’on retienne du film ?
La fatalité et le drame sont des choses qui font grandir et pas forcément mal. Je pense que les êtres humains ont les ressources nécessaires pour rebondir et s’ouvrir. Ce film raconte notre capacité de résilience, de se réconcilier avec soi-même, ce à quoi on ne s’attendait pas et puis finalement, c’est OK. Repousser ses propres limites, s’ouvrir aux autres et la tolérance. On doit être solidaires face aux enjeux climatiques auxquels nous sommes confrontés.
Pour vous, c’est quoi le féminisme aujourd’hui ?
Une envie de réfléchir les différences en en faisant des forces et en cherchant l’égalité salariale, dans le travail et la vie, la perception qu’on a du corps les uns des autres… mais sans nier les différences car elles sont fondamentales entre les hommes et les femmes. Le féminisme n’oppose pas les hommes aux femmes, mais il faut qu’on obtienne un monde égalitaire !
Quels sont vos projets ?
Mon prochain film, « Last Dance », s’intéressera à un autre moment charnière : le déclin. Au dernier âge de sa vie, Germain incarné par François Berléand se met à danser et c’est très drôle. C’est sur la danse contemporaine.
Propos recueillis par Thierry Calmont
Photographies : Christophe Beaucarne
« Le Milieu De L’Horizon » de Delphine Lehericey en salles mercredi 20 Octobre (Outplay Films).
Sites Internet : www.outplayfilms.com & www.facebook.com/Outplay.fr.